« Quelqu’un veut faire des tomates dominicales aujourd’hui ? » Malgré les apparences, cet appel à tous lancé sur Facebook n’a rien à voir avec les récoltes automnales. Pour les initiés, une « tomate », c’est cinquante minutes de rédaction suivies de dix minutes de pause.
Elle-même étudiante au doctorat, Sara Mathieu-Chartier était loin de se douter que son idée de rédiger en groupe ferait du chemin aussi rapidement dans les milieux universitaires. En deux ans, la petite équipe dont elle fait partie a pourtant rallié près d’un millier d’étudiants à la maîtrise ou au doctorat.
« J’ai lancé l’idée de faire une petite retraite de rédaction, d’aller dans un chalet et de se mettre dans des conditions idéales pour rédiger, raconte Sara Mathieu-Chartier, initiatrice du projet Thèsez-vous. En l’espace de deux jours, j’étais envahie de courriels de gens que je ne connaissais pas et qui me disaient qu’ils voulaient venir à ma retraite. Ça a déboulé. »
Avec ses retraites de rédaction et ses rencontres quasi quotidiennes dans des cafés un peu partout dans la province, Thèsez-vous ? apporte une aide bienvenue à de nombreux étudiants.
Le chemin vers le mémoire ou la thèse est semé d’embûches et le taux de diplomation n’a guère changé au Québec dans les dix dernières années.
« À la maîtrise, c’est en moyenne plus ou moins 65 % des étudiants qui obtiennent leur diplôme. Au doctorat, c’est un sur deux. »
— Christian Bégin, professeur à l’Université du Québec à Montréal qui s’intéresse à la persévérance scolaire aux cycles supérieurs.
« C’est vraiment préoccupant, dit Sara Mathieu-Chartier. C’est beaucoup d’investissement de temps, d’énergie, de ressources financières pour des étudiants qui ne finiront pas. C’est aussi beaucoup de données de recherche, de projets qui ne vont jamais naître. On se dit : s’il y a plus de gens qui finissent, il y a plus de science qui va être transmise. »
Or, les universités « ont besoin de clientèle » et « ce sont les étudiants qui s’inscrivent qui sont financés », dit le professeur Christian Bégin. « À partir du moment où l’enjeu est d’avoir le plus d’étudiants possible, c’est l’admission des étudiants qui devient le nerf de la guerre », dit-il.
En conséquence, le milieu universitaire porte moins d’attention à la rétention de ces mêmes étudiants, qui multiplient les prolongations, parfois même jusqu’à être expulsés d’un programme.
« Le réseau des Universités du Québec a permis de démocratiser l’enseignement supérieur de façon importante en mettant des établissements dans les régions, ce qui n’existait pas avant. Une fois que l’accès aux études supérieures est facilité, la préoccupation doit être de voir comment on peut amener les gens à sortir avec un diplôme », dit Christian Bégin.
Un travail solitaire
L’image de l’étudiant qui travaille seul dans son bureau pendant des années n’est pas bien loin de la réalité dans bien des cas.
« Jusqu’à ce moment-là dans leur parcours, les étudiants sont assez performants. Ils ont fait une série de sprints. Et là, tu arrives à la maîtrise ou au doctorat et ce n’est plus un sprint, c’est un marathon : tu auras peu de rétroaction et il va falloir persister. C’est là que les étudiants perdent leurs repères. »
— Sara Mathieu-Chartier
À la relative solitude dans laquelle les étudiants travaillent, s’ajoute parfois l’incompréhension des proches.
« Très souvent, les gens vont être plus ou moins compris par leur entourage, parce qu’ils sont les premiers à se rendre au niveau de la maîtrise ou du doctorat. Ils ne vont pas comprendre ce qui fait qu’un étudiant est obligé de s’asseoir pendant trois heures pour rédiger un paragraphe. Les gens autour vont dire : voyons, trois heures, tu dois avoir joué à l’ordinateur… », illustre Christian Bégin.
Véronique Hudon poursuit des études doctorales à l’UQAM et est bien au fait de cette perception. « C’est très engageant, la rédaction. Les gens ne se rendent pas compte que ça demande beaucoup de temps, de concentration et d’énergie. Ce n’est pas rémunéré. Il y a des bourses, mais ce n’est pas tout le monde qui y a accès », dit-elle.